Synopsis
Abdallah, athlète professionnel, a réussi à s'échapper de Gaza. Son ami Jehad, lui, y vit toujours. Il y entraîne de jeunes athlètes pour qui le sport reste le seul espace teinté d'espoir au milieu du conflit.
Fiche technique
Titre | One More Jump |
Durée | 1h23 |
Date de sortie | 08/09/2021 |
Réalisateur | Emanuele Gerosa |
Acteurs | |
Genres | Documentaire |
Nationalité | Suisse |
Notre critique
Pour son deuxième documentaire, tourné essentiellement en Palestine et en Italie, le réalisateur de Between Sisters (2015, inédit en France) prouve, s’il en était encore besoin, que rien n’est plus puissamment tragique que la vie réelle filtrée par le regard d’un artiste ! Sans voix off et avec une musique a minima, Emanuele Gerosa enchevêtre en effet avec une poignante fluidité les destins de Jehad et Abdallah, deux trentenaires palestiniens jadis amis, également passionnés de parkour, cette spectaculaire discipline sportive acrobatique consistant à franchir des obstacles urbains ou naturels sans l’aide de matériel. Formellement, tout concourt à créer une sublime mise en miroir : des deux côtés de la Méditerranée, la miséreuse exigüité des intérieurs enferment la vie quand les extérieurs ouvrent à la liberté de mouvement. Si, à Gaza, Jehad s’occupe de son père invalide, de sa mère et de ses sœurs, depuis l’Italie où il est parti, Abdallah cache sa situation de SDF aux siens quand il les appelle. La vitalité du collectif s’exerçant avec Jehad dans les ruines de Khan Yunis (et les sublimant par là même) jure avec la solitude d’Abdallah s’entraînant dans les tristes souterrains de la gare de Florence. Jehad poursuit auprès des jeunes la transmission des valeurs du Parkour Gaza : pas de compétition, être attentif, le respect, la confiance, la modestie... Abdallah, qui en fut le fondateur quatorze ans plus tôt, est devenu professionnel. Mais sa trahison suprême est d’être parti seul. “Il aurait dû aider les autres”, martèle Jehad à ses amis, donnant raison à Abdallah. Effet des lieux, sans doute, on ne saurait trouver histoire plus biblique. Outre les astucieux procédés reliant les deux amis par-delà la Méditerranée, la caméra capte avec profondeur leurs regards pareillement rêveurs et sombres où plane l’angoissant questionnement de leur avenir. “Comment tu seras à 40 ans ?”, interroge ainsi l’ami de Jehad. Le documentaire vibre au gré des entraînements époustouflants, des errances, des pauses introspectives, des discussions entre amis, muant, peu à peu, ces deux destinées en celle de tous les migrants. Pire ! “Tu es un immigré et un étranger”, lâche Mohammed à Abdallah après lui avoir fait remarquer qu’ils étaient déjà des étrangers dans leur propre pays. Un pays en guerre pas toujours larvée, ainsi que le trahissent les nuages noirs des bombes et le bruit des avions. Le parkour nous apparaît alors pour ce qu’il est : le moyen et l’allégorie de leur survie. “J’ai 30 ans et je n’ai rien fait de ma vie”, plaide Jehad pour convaincre sa mère de le laisser partir. Moment terrible où elle cède avec un chagrin profond. “Les jours insouciants ne reviendront pas”, murmure Abud à Jehad. L’insert final nous confirmera la pertinence de cette prémonition. Malgré son passeport, Jehad reste interdit de sortie de Gaza tandis qu’Abdallah est cloué dans un fauteuil roulant en Italie suite à une blessure. Une fin qui nous vrille et qui, devant leur volonté brisée de donner du sens à leur existence, fait sourdement honte à la vacuité dont nous emplissons si souvent la nôtre. On songe alors, un peu honteux, aux plus illustres des stoïciens, de Marc-Aurèle à Montaigne. Un documentaire incontournable par ce qu’il montre et induit. LES FICHES DU CINÉMA